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VINCENT PIVETEAU, DIRECTEUR DE L'ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DU PAYSAGE DE VERSAILLES (78) - MARSEILLE (13) - ENSP « Il faut réfléchir au sens paysager des transformations agricoles et énergétiques »

VINCENT PIVETEAU, DIRECTEUR DE L'ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DU PAYSAGE DE VERSAILLES (78) - MARSEILLE (13) - ENSPPHOTO : SYLVAIN DUFFARD

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Les évolutions de notre société, de notre agriculture, la transition énergétique, ont des impacts considérables sur les paysages. Par exemple, la mutation de la production agricole vers l'agroécologie crée de nouveaux paysages et il y a un besoin d'envisager leur conception spatiale. Trop souvent, ces impacts sont subis, non anticipés, en amont des décisions d'aménagement, estime Vincent Piveteau. L'école qu'il dirige forme les étudiants à cette approche sensible, esthétique, culturelle de la transformation mais aussi à la pluridisciplinarité, pour discuter des projets avec tous les acteurs.

La société civile s'interroge sur les conséquences des orientations agricoles des dernières décennies. Une des solutions est l'agroécologie (1). En quoi les paysagistes sont-ils concernés ?

Pour ces derniers, le paysage n'est ni un décor, ni une « résultante » dont on constate l'évolution, mais une matière à projets. Et pour l'ENSP, il y a un véritable enjeu à réfléchir au sens paysager de la transformation agroécologique, ou de la transition énergétique, en travaillant sur l'après-pétrole. Quelles sont les qualités d'espaces que nous produisons ou pourrions produire sur le plan de la composition, de la multifonctionnalité ? Quelle durabilité auront-ils dans le temps ? Nous participons à de nombreuses réflexions multidisciplinaires, mais nous sommes frappés par le manque d'appétence aux questions de l'espace, à la conscience de la création de nouvelles perspectives. Les réponses sont le plus souvent techniques, mais pas assez culturelles. La relation entre le planificateur et l'urbaniste, par rapport au paysagiste est un sujet à explorer. Par contre, les étudiants en agronomie ou paysagistes sont ouverts à ces questions. Il y a quelque chose qui change dans leur appréhension, avec beaucoup plus de liens et d'interdisciplinarité. L'ENSP soutient ces approches croisées et évolutions.

Comment l'ENSP peut accompagner ces changements ?

La transformation des modes de production agricoles s'accompagne d'une transformation majeure des paysages. Par exemple la haie bocagère, qui est en soit une très bonne chose, peut les modifier et les cloisonner et, par un heureux positionnement, on peut en faire un élément esthétique et sensible. Certains travaux personnels de fin d'études des étudiants proposent d'introduire des réflexions spatiales visibles dans des projets d'exploitations en mutation, en s'inscrivant dans une démarche agroécologique et de réussite économique.

Quels liens voyez-vous entre l'évolution de l'agriculture et celle du paysage ?

L'agroécologie rencontre l'héritage du paysagiste Gilles Clément sur le jardin planétaire, de l'enseignant-chercheur Marc Rumelhart et du paysagiste Gabriel Chauvel. Ils ont participé à réintroduire le jardinage à vocation alimentaire dans la pratique paysagère urbaine, allant jusqu'à l'animal dans la gestion de l'espace urbain. Le potager du Roi à Versailles (78) est, à ce titre, un espace de démonstration et d'expérimentation. Il s'agit de faire le plus possible avec et le moins souvent contre la nature. Les relations entre la qualité des paysages, des produits et du cadre de vie doivent être restaurées et inspirer les modèles de production. Le paysage peut devenir le support et le levier pour rassembler différents acteurs du territoire, élus, agriculteurs, citoyens. Il est plus facile de mettre les gens d'accord sur des questions d'ingénierie que sur des approches culturelles, d'espace, avec les traditionnels conflits d'usage. Un autre lieu de réflexion est la lisière ville-campagne, les espaces de contact entre zones rurale et urbaine. Ils sont souvent d'une pauvreté catastrophique. Les paysagistes doivent réinvestir cette lisière, composer la ville au contact de la campagne, les modèles de production agricole, rurale, péri-urbaine et urbaine doivent se réinventer.

Quel rapport entre transition énergétique et paysage ?

L'insertion de l'éolien et des lignes à haute tension, indispensables avec une production d'énergie plus décentralisée, vont marquer des modifications, aussi majeures que celle des paysages du pétrole. Un « collectif des paysages de l'après-pétrole » s'est créé en 2013. Il a notamment produit un travail de traduction spatiale du scénario AFTERRE 2050 (scénario élaboré par l'association Solagro sur le même principe que le scénario Négawatt). Le fait technique est analysé et sa traduction est imaginée dans l'espace avec un essai de composition paysagère. Dans le même sens, une dynamique se trouve constituée par la chaire « paysage et énergie » de l'école, créée en 2015. Les mutations énergétiques font l'objet de débats, on assiste à un questionnement culturel. Si cela n'est pas anticipé, nous aurons des paysages non désirés et non désirables, la France moche que nous connaissons par endroits qui est la résultante de l'énergie bon marché des dernières décennies.

Pourtant les décisions sont loin d'inclure cette réflexion ?

Évidemment, regardez encore l'exemple des Trames vertes et bleues, elles n'ont pas été pensées dans leur dimension de paysage, et spatiale. Or le paysage n'est pas un objet culturel qui serait à préserver, puisqu'on est sans cesse en train de modifier l'espace, de le transformer, on est constamment dans une interprétation. C'est un objet sensible, culturel, en perpétuel mouvement puisque le travail se fait sur du vivant, donc on ne peut pas être en totale maîtrise. C'est un dialogue, une conversation permanente avec le site, le vivant.

Quel rôle laisse-t-on au végétal ?

Il est essentiel. Prenez l'exemple de l'agroforesterie : c'est bien l'arbre en tant que végétal qui est au coeur de la réflexion et de la conception paysagère. Le connaître est indispensable quand on parle par exemple de transition écologique de l'agriculture et d'adaptation au changement climatique, avec en particulier la question de l'eau et du sol. Il s'agit de réintroduire ou de préserver des éléments du paysage pour des raisons hydrologiques, de gestion des risques, d'adaptation climatique et de maîtrise des populations de ravageurs ou d'auxiliaires. Coordonner leur localisation, travailler à leur contribution à la Trame verte, penser la production de paysages qui est en cours, nécessite le recours à un savoir-faire en matière de conception spatiale végétale.

Propos recueillis par Cécile Claveirole

(1) L'agroécologie est une discipline scientifique à l'interface de l'agronomie et de l'écologie, dans laquelle les stratégies de production sont basées sur des interactions entre les divers composants vivants des éco et agrosystèmes. Elle se décline au travers de pratiques agricoles, comme l'agroforesterie, la plantation de haies et d'arbres inter et/ou intra-parcellaire, la couverture permanente des sols, les cultures associées, des rotations culturales diversifiées, etc.

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